Dès que Squiddy fut parti, Lucy se tourna vers Briar et lui dit :
— Vous êtes prête ?
— Je suis prête, confirma-t-elle. Passez devant.
En face d’elle, la femme se battait avec son bras pour arriver à enfiler son masque.
— Est-ce que je peux vous aider ? demanda Briar.
— Peut-être que ça serait une bonne idée.
Briar ajusta le masque de l’autre femme jusqu’à ce qu’il tienne bien en place derrière ses oreilles. Elle remarqua que Lucy avait remplacé le modèle qui ne tenait qu’une heure, qu’elle avait porté auparavant, par un masque un peu plus lourd.
— Ça ne vous tire pas les cheveux, au moins ?
— Non, ma chérie, c’est très bien. Et merci. (Elle afficha un sourire brave, puis se redressa.) À présent, il est temps d’y aller. J’aurai peut-être besoin que vous ouvriez une porte ou deux, et la voie est assez large pour que nous puissions marcher côte à côte sur une bonne partie du trajet, alors il vaudrait mieux que vous restiez près de moi.
— C’est loin ?
— Environ un kilomètre et demi, je pense. Mais c’est difficile à dire lorsqu’il faut grimper des escaliers et descendre des couloirs. On jurerait que c’est deux fois plus long.
Lucy ne plaisantait pas. Elle ne pouvait pas non plus tenir une lanterne de façon stable, alors Briar en attrapa une et resta à proximité afin qu’elles puissent voir toutes les deux. Après un dédale de tunnels, de joints et de tentures, elles arrivèrent devant un escalier tordu et grinçant et une porte fermée. Briar l’ouvrit et grimpa en tenant la lumière, tout en gardant un œil sur Lucy qui se trouvait derrière elle. L’intégrité du bras était menacée et il devenait de plus en plus inutile.
Finalement, à la demande de Lucy, Briar lui attacha le bras aussi fermement que possible. À partir de ce moment-là, elle marcha devant lorsque le passage se faisait trop étroit. Elles continuèrent ainsi, avançant de plus en plus loin vers le sud, jusqu’à se retrouver si près du mur que sa silhouette cachait le ciel lorsqu’elles émergèrent sur le toit d’un nouveau bâtiment.
— Quel est cet endroit ? demanda Briar.
Ce toit ne ressemblait pas aux autres qu’elle avait pu voir jusqu’ici : le sol était recouvert de planches en bois et de poteaux métalliques profondément ancrés. En l’air, un système de trapèzes soutenait des passerelles qui bougeaient lorsqu’une poignée était tirée.
— Ici ? Oh, je ne sais pas. Je crois que c’était un hôtel, il y a longtemps. À présent c’est… Eh bien, c’est presque comme une gare. Je ne veux pas dire qu’il y a des trains, parce que ce n’est évidemment pas le cas, mais…
— C’est un carrefour, déduisit Briar.
Elle s’écarta d’un morceau de bois cloué, aussi grand qu’un chariot, et souleva la lanterne de façon à pouvoir lire le message écrit à la peinture rouge. C’était une liste d’instructions et de flèches, un peu comme une table d’orientation.
— Vous voyez ? lança Lucy en désignant le panneau, nous voulons aller à King Street. Cette flèche-là, à côté, vous indique quelle est la passerelle à tirer.
— Là, à droite ?
— Non. À côté, vous voyez ? Il y a un levier. Tirez fort.
Briar tira de toutes ses forces sur un levier qui avait été, dans une vie antérieure, un manche à balai ; une des extrémités était peinte dans un vert assorti à la flèche qui le désignait, ce qu’elle trouva judicieux. Quelque part en l’air, le couinement d’une chaîne qui coulissait s’accompagna des légères protestations du métal rouillé. Une ombre découpée se mit en branle au-dessus de leurs têtes, se balança, se stabilisa, et s’abaissa. Puis une plate-forme en bois enduite de poix apparut.
— Ça ne colle pas trop, annonça Lucy avant même que Briar ne puisse poser la question. Ici, avec l’humidité et le Fléau, le goudron empêche le bois de tomber en morceaux, mais il est recouvert de sciure assez régulièrement. Venez. C’est plus solide que ça en a l’air.
La plate-forme était bordée sur les quatre côtés d’une rambarde avec des portillons qui s’ouvraient à l’avant et à l’arrière, et elle reposait actuellement sur une voie qui avait l’air assez solide pour soutenir un troupeau de bétail.
— Allez-y, lui dit Lucy. Montez dans l’ascenseur. Il peut parfaitement supporter notre poids et pourrait encore accueillir davantage de monde.
Elle obéit et Lucy grimpa derrière elle, vacillant jusqu’à ce que Briar l’aide à retrouver ses appuis.
— Nous suivons cette passerelle ?
— C’est ça, dit-elle.
Celle-ci disparaissait dans un nouvel enchevêtrement de platesformes, d’ascenseurs et d’autres dispositifs conçus pour déplacer des gens. Elle menait finalement à un croisement, et Lucy indiqua la flèche verte qui désignait une voie commençant par quatre planches de la même couleur. Ses yeux allaient de gauche à droite derrière son masque et elle dit, beaucoup plus bas :
— Ne regardez pas maintenant, mais nous ne sommes pas seules. Là-haut sur le toit, à droite, et en bas, la fenêtre de gauche.
Briar garda la tête droite mais suivit les indications orales. Lucy avait raison. Au-dessus d’elles, sur le toit, un homme masqué armé d’un long fusil était appuyé dans un angle et les regardait approcher. En dessous, une fenêtre en verre était assombrie par la silhouette d’un homme dont le visage était couvert et qui portait un chapeau. Lui aussi était armé, et semblait peu se soucier d’être repéré.
— Des gardes ? demanda Briar.
— Ne vous en inquiétez pas trop. Nous arrivons par la bonne route, à la vue de tous et en faisant du bruit. Ils ne s’occuperont pas de nous.
— Mais ils surveillent les nouveaux arrivants, non ?
— Les nouveaux arrivants et les Pourris, mais aussi les clients mécontents, répondit Lucy.
— Je suis une nouvelle venue, souligna Briar.
— Bien sûr. Mais ils me connaissent, moi.
— Peut-être que je devrais leur demander… commença-t-elle.
Lucy l’interrompit :
— Leur demander quoi ?
— À propos de Zeke. Ce sont des gardes, non ? Peut-être qu’ils ont vu mon fils pendant qu’ils surveillaient les rues.
La tenancière du bar secoua la tête.
— Pas maintenant. Pas à ces hommes. Ils ne vous diront rien, même s’ils savent quelque chose. Ce ne sont, pour la plupart, que des mercenaires. Et ils ne sont pas très amicaux. Oubliez-les.
Elle baissa à nouveau la voix et continua à marcher juste derrière Briar.
Cette dernière détecta un troisième homme armé sur un autre toit à proximité, puis un quatrième. Elle demanda :
— Est-ce qu’il y en a toujours autant ?
Lucy regardait ailleurs, car elle en avait repéré un cinquième.
— Parfois, répondit-elle, mais elle n’eut pas l’air très convaincue par ce qu’elle disait. Ça fait vraiment beaucoup pour un comité d’accueil. Je me demande ce qui se passe.
Briar ne trouva pas la remarque particulièrement rassurante, mais elle refusa résolument de tenir son fusil plus près ou de marcher plus vite le long des passerelles étroites faites de tuyaux et de bois qui la conduisaient au-dessus des rues empoisonnées par le Fléau.
— Au moins, personne ne nous vise, dit-elle.
— C’est vrai. Peut-être qu’ils ont eu quelques problèmes. Peutêtre qu’ils cherchent quelqu’un d’autre. Mon ange, est-ce que vous pouvez me rendre un service ?
— Dites.
— Restez un peu plus près de moi. Cette partie est accidentée, et j’ai du mal à m’équilibrer sans mon bras.
Briar bougea l’épaule, tirant sa sacoche et son fusil pour qu’ils n’aillent pas frapper Lucy en plein visage, puis elle passa le bras autour d’elle et l’aida à traverser les poutres tordues. À l’extrémité du passage, elle tira un autre levier, et un autre ascenseur descendit jusqu’à elles.
— C’est le dernier, annonça Lucy. Il va nous emmener en bas, au sous-sol. Est-ce que vous voyez la gare, là-bas ?
Briar écarquilla les yeux et crut discerner un point sombre et un cercle barré de deux lignes à travers le brouillard.
— Là-bas ?
— C’est ça. C’est la tour de l’horloge. Ils venaient juste de la terminer lorsque le Fléau est arrivé. Et ici, expliqua-t-elle, pendant que les engrenages qui maintenaient la plate-forme en l’air se verrouillaient et commençaient à entamer la descente, ça devait être un garage pour entreposer les wagons quand on n’en avait pas besoin. Finalement, c’est devenu une sorte de vestibule.
— Un vestibule ?
— Oui. Envisagez-le comme un hôtel. C’est assez joli à l’intérieur, dit Lucy. Plus joli que les Coffres, en tout cas. Même ici, l’argent peut beaucoup, et Minnericht est extrêmement riche.
Étage après étage, l’ascenseur branlant descendit les deux femmes. À travers le squelette de l’immense gare mort-née, leurs estomacs firent la course avec elles pour arriver en bas les premiers. Et, finalement, les portes s’ouvrirent sur un endroit étonnamment désert, qui rappelait qu’il n’y avait jamais eu ni trains, ni billets, ni passagers ici. Ce lieu n’avait jamais été flambant neuf et, à présent, il avait l’air encore plus vieux que des ailes de mouches piégées dans un morceau d’ambre.
Un nuage de poussière accompagna l’arrêt de l’ascenseur.
Briar éternua, et Lucy leva le bras pour essuyer son nez sur sa manche, mais le masque l’en empêcha.
— Venez, ma chère, dit-elle. Ce n’est plus très loin et, plus nous descendrons, plus la gare deviendra confortable.
— Depuis combien de temps vit-il ici ? demanda Briar en sortant de l’ascenseur à la suite de Lucy.
— Oh, je ne sais pas. Dix ans, peut-être. Il a mis assez longtemps à arranger les lieux selon ses goûts, ça, c’est sûr.
Elles foulèrent un sol en pierre brute sans éclat ni carrelage, et l’écho de leurs pas résonna pour annoncer leur venue jusqu’aux extrémités de la pièce. Le vaste espace vide s’achevait par une double porte rouge encadrée de tentures en caoutchouc noir cachant tous les joints. Briar toucha l’une d’elles et l’observa de plus près. Elle avait l’air plus propre et de meilleure qualité que les joints improvisés des autres quartiers.
— Comment faisons-nous pour entrer ? Est-ce qu’il faut taper d’une certaine façon ou sonner une cloche ? demanda Briar, en remarquant que la porte n’était pas équipée de poignée ou de loquet à l’extérieur.
— Aidez-moi à sortir mon bras de cette écharpe, voulez-vous ? demanda Lucy.
Briar l’aida à le dégager, puis Lucy le balança trois fois contre la porte la plus à droite. Le son était net et métallique. C’était le son du métal sur du métal.
— Les portes…
— En acier, je pense. Quelqu’un m’a dit qu’elles avaient été construites à partir des parois d’un wagon. Mais quelqu’un d’autre m’a dit qu’elles avaient été descendues depuis l’entrée, alors je ne sais pas exactement d’où elles proviennent.
— Et ils vont tout simplement nous laisser entrer ?
Lucy haussa les épaules, et son bras remua gaiement contre son ventre.
— Les Pourris ne frappent pas avant d’entrer. Et pour les autres, ils pensent qu’ils peuvent faire face.
— Merveilleux, marmonna Briar.
Et bientôt, le cliquetis d’un loquet à l’intérieur indiqua qu’elles avaient été entendues.
Il fallut une trentaine de secondes pour que la porte s’ouvre, car il y avait toute une armada de barres et de verrous à tourner, soulever et écarter, puis les charnières réticentes grincèrent lorsque le battant s’ouvrit. Derrière la porte, un homme élancé portant un masque surdimensionné jeta un coup d’œil suspicieux dans la zone que Lucy avait appelée « le vestibule ». De taille moyenne, il était habillé comme un cow-boy, avec un pantalon en grosse toile, une chemise boutonnée jusqu’en haut et deux ceintures, qui servaient à ranger des armes, accrochées l’une au-dessus de l’autre autour de sa taille. Une autre sangle lui traversait la poitrine, supportant un fusil d’une taille proche de celle du Spencer de Briar. Il était plus jeune que bien des personnes qu’elle avait vues dans les murs de la ville, mais pas autant que son fils. Il devait avoir la trentaine, mais c’était difficile à dire.
— Bonjour, Richard, dit Lucy.
S’il fronça les sourcils ou sourit pour rendre le salut, Briar ne réussit pas à le voir à travers son masque.
— Mademoiselle Lucy, répondit-il. Vous avez des problèmes avec le bras ?
— Oui, lui dit-elle.
Il évalua Briar d’un regard et dit :
— Comment votre amie est-elle entrée dans la ville ?
Lucy se renfrogna.
— Qu’est-ce que ça peut faire ?
— Peut-être rien. Comment est-elle entrée ?
— Vous savez, je suis là. Vous pouvez me le demander directement, intervint Briar. J’ai été déposée par le Naamah Chérie. Le capitaine a eu la gentillesse de m’embarquer.
Lucy se tenait parfaitement immobile, comme un animal de proie qui craint d’avoir été repéré. Puis elle ajouta lentement :
— Elle est arrivée hier. Je comptais venir avec elle plus tôt, mais nous avons eu quelques problèmes avec les Pourris. Et quoi qu’il en soit, elle est là, maintenant.
Briar avait eu l’impression d’être dans la ville depuis plus longtemps mais, en y repensant, elle se rendit compte qu’elle n’y avait passé qu’une nuit et presque deux journées. Avant qu’il ne pose la question, elle expliqua :
— Je cherche mon fils. Il a dû venir à l’intérieur il y a quelques jours. C’est une longue histoire.
Il l’observa sans ciller, pendant un trop long moment.
— J’imagine.
Après l’avoir à nouveau dévisagée longuement, il déclara :
— Je pense que vous seriez mieux à l’intérieur.
Il fit volte-face, marchant devant Briar et Lucy pour les guider à l’intérieur.
La double porte rouge se referma sèchement avec un courant d’air.
— Par ici, dit-il.
Il les conduisit dans une salle étroite à peine trop large pour être qualifiée de couloir. Les murs étaient parsemés de lampes à gaz qui avaient l’air de provenir de bateaux. Elles rappelèrent à Briar celles qu’elle avait vues dans le Naamah Chérie, et elle pensa que, si elle les touchait, elles se balanceraient peut-être sur leur bras de suspension.
Ils marchèrent en silence pendant tellement longtemps que Briar sursauta lorsque Richard se remit à parler.
— Je pense que vous êtes attendues, dit-il.
Elle ne sut pas si cette révélation lui redonnait espoir ou la mettait mal à l’aise.
— Je vous demande pardon ? dit-elle en espérant obtenir un éclaircissement.
Il ne répondit pas.
— Mademoiselle Lucy, est-ce que vous avez à nouveau abîmé votre bras en frappant sur Willard ?
Elle se mit à rire, mais elle paraissait plus nerveuse que joyeuse.
— Non, et ça n’est arrivé qu’une seule fois. Il ne pose pas souvent de problèmes. C’est juste que cette fois… (Sa voix s’évanouit, puis revint.) Non, c’était un groupe de Pourris. Nous avons eu quelques ennuis Chez Maynard.
Briar se demanda si Richard était déjà au courant de ceux-ci, ou s’il y avait éventuellement contribué. L’homme ne répondit pas et Lucy n’essaya pas de poursuivre la conversation. Peu de temps après, la pièce tout en longueur se termina par des tentures fabriquées dans le même caoutchouc noir, mais suspendues comme s’il s’agissait de vrais rideaux.
— Vous pouvez enlever vos masques maintenant, si vous voulez, annonça Richard. L’air est convenable ici.
Il retira le sien et le coinça sous son bras, dévoilant un large nez strié de petites cicatrices, ainsi qu’une paire de joues si rondes qu’il aurait pu y cacher des prunes.
Briar aida d’abord Lucy, rangeant le masque de la tenancière du bar dans son écharpe. Puis elle retira le sien et le mit dans sa sacoche.
— Je suis prête, c’est quand vous voulez, annonça-t-elle.
— Alors, venez.
Il écarta la tenture et faillit aveugler Briar avec la lumière qui arrivait de derrière le voile.
— J’aurais dû vous prévenir, dit Lucy en plissant les yeux, le Dr. Minnericht est un passionné de lumière. Il l’adore et il aime la créer. Il travaille à la fabrication de lampes qui fonctionnent à l’électricité ou au gaz, et pas simplement à l’huile. Et c’est ici qu’il effectue ses tests.
Briar laissa ses yeux s’accoutumer et jeta un regard autour d’elle. Il y avait des lampes de toutes les formes et de toutes les tailles disposées autour de la salle, sur des piliers et des portants. Elles étaient reliées au mur, parfois entre elles, et avaient été rassemblées en groupes. Certaines fonctionnaient avec une source d’alimentation évidente, et leur flamme jaune citron projetait une lueur habituelle, mais d’autres rayonnaient à partir d’une source inconnue. De temps en temps, une lampe émettait une lumière bleue et blanche, ou créait un halo verdâtre.
— Je vais lui dire que vous êtes là. Mademoiselle Lucy, est-ce que votre amie et vous souhaitez attendre dans le wagon ?
— Bien sûr, répondit-elle.
— Vous connaissez le chemin.
Et sur ce, il disparut à un angle. L’ouverture et la fermeture d’une porte indiquèrent qu’il s’était déjà bien éloigné, alors Briar se retourna vers Lucy et demanda :
— Quel wagon ?
— Il voulait dire le vieux wagon de train. Ou l’un d’eux, en particulier. Minnericht les a nettoyés et meublés, et il les utilise parfois à des fins de stockage, ou pour travailler. Il en a même transformés certains en petites chambres d’hôtel, ici, sous la rue.
— Comment a-t-il fait pour les déplacer sous la rue ? demanda Briar. Et que faisaient-ils ici, puisque la gare n’était pas terminée lorsqu’ils ont construit le mur ?
Lucy passa à côté d’une rangée de bougies qui attendaient certainement d’être utilisées pour éclairer le lieu. Elle répondit :
— Il y avait des trains qui allaient et venaient avant que la gare soit achevée. Je crois que plusieurs wagons se sont renversés ici pendant le tremblement de terre. Mais je ne parierai pas dessus. Et puis, il les a peut-être ramenés lui-même, ou il a payé quelqu’un pour le faire. Mon chou, pourriez-vous ouvrir cette porte pour moi ?
Briar appuya sur un loquet, et de nouveaux battants s’ouvrirent. De l’autre côté, il n’y avait rien d’autre que l’obscurité, ou du moins c’est l’impression que cela donnait après l’extrême luminosité de la salle précédente. Mais des torches recouvertes de globes en verre vacillaient dans l’obscurité opaque, et des plaques de métal terni émettaient une douce lueur, créant de faibles taches de lumière contre les murs et le plafond.
Lorsque Briar leva les yeux, elle vit trop de choses au-dessus de sa tête, bien trop près.
Lucy suivit son regard.
— Ne vous inquiétez pas pour ça. Je sais que ça a l’air d’un effondrement, et c’en est un. Mais il s’est produit il y a des lustres, et ça n’a plus bougé depuis. Il l’a consolidé et il a renforcé les wagons qui se trouvent dessous.
— Vous voulez dire que ces fameux wagons sont enterrés ?
— Certains, oui. Là. Regardez, ma chère. Voici celui où il accueille les visiteurs. En tout cas, c’est là qu’il me permet de le rencontrer. Peut-être que nous le faisons ici parce que c’est là qu’il conserve ses outils supplémentaires, je ne sais pas. Mais, en tout cas, c’est là que nous allons.
Elle inclina la tête vers une porte que Briar avait failli manquer, car elle était masquée par les décombres et la saleté. Un tréteau formé de traverses de chemins de fer l’encadrait comme une arche. Elle se trouvait au milieu de deux autres.
— Celle au centre, dit Lucy.
Briar supposa que cela voulait dire qu’elle devait l’ouvrir. Elle avait l’air tellement fragile, après tous les lourds battants qu’elle avait franchis récemment. Le loquet n’était qu’une minuscule barre qui tenait dans la paume de sa main. Elle s’en saisit doucement, par crainte de le casser.
Il cliqueta et la porte s’ouvrit.
Elle la tint ouverte tandis que Lucy entrait dans un endroit où d’autres lampes brillantes éclairaient un ensemble intimidant de babioles, outils et instruments dont Briar ne connaissait absolument pas la fonction. Les sièges intérieurs avaient été retirés, même si une poignée d’entre eux avait été repositionnée le long du mur opposé, au lieu d’occuper l’espace en rangées. Au centre, sur toute la longueur du wagon, une longue table était presque entièrement enfouie sous d’étranges objets qui s’empilaient.
— Qu’est-ce que c’est que tout ça ? demanda-t-elle.
— Ce sont… C’est… ses outils, c’est tout. Ceci est un atelier, déclara Lucy, comme si cela expliquait tout.
Briar effleura les objets, faisant passer ses doigts sur des tubes, des tuyaux et des clés anglaises dont les tailles étaient si étranges qu’elle pouvait difficilement imaginer ce qu’elles servaient à serrer. Le long des parois de la pièce, d’autres objets étaient empilés, abandonnés ou stockés, et aucun n’avait l’air de pouvoir faire quelque chose de plus utile qu’un tintement ou une sonnerie. Mais il n’y avait pas de montres, seulement des pièces d’horlogerie et des aiguilles, et elle ne vit aucune arme, seulement des instruments tranchants et des ampoules traversées de minuscules fils, comme des veines.
Le bruit caractéristique de pas qui se rapprochaient se répercuta au-delà de la fine barrière que constituait la porte déchiquetée du vieux wagon.
— Il arrive, souffla Lucy. (Elle eut un air de panique, et son bras abîmé fit un soubresaut sur ses genoux.) Je suis désolée, dit-elle rapidement. Je ne sais pas si c’était la bonne chose à faire, mais au cas où ça ne le serait pas, alors je suis désolée.
Puis la porte s’ouvrit.